Immobilier et allocation d’actifs : quelles dynamiques de reprise ?

Par : edicom

Si les niveaux d’activité semblent se normaliser progressivement dans certains secteurs, la possibilité d’une nouvelle vague épidémique tend à fragiliser la dynamique de reprise… Point de conjoncture avec l’Institut de l’épargne immobilière et foncière (Ieif).

Les prévisions économiques à fin 2020 ont été plusieurs fois révisées à la baisse concernant l’ampleur de la crise que traverse l’économie mondiale : si les niveaux d’activité semblent se normaliser progressivement dans certains secteurs, la possibilité d’une nouvelle vague épidémique tend à fragiliser la dynamique de reprise… Derrière l’observation des agrégats économiques moyens se cache une très forte augmentation des disparités de situation entre ménages, entreprises, secteurs économiques, pays et zones monétaires. Si l’investissement et la consommation ne repartent pas, l’activité économique peut rester très faible. Mais si la demande repart, le stimulus fiscal, budgétaire et monétaire massif, notamment le plan de relance européen adopté en juillet, peut réserver de bonnes surprises en termes de croissance.

Pour mieux appréhender ces multiples interrogations l’IEIF a donné la parole, dans un webinaire organisé le 3 septembre à deux experts : Pierre Schoeffler, Senior Advisor à l’IEIF, et Mahdi Mokrane, directeur de la stratégie d’investissement et de la recherche chez Patrizia, qui livrent leurs analyses macro-économiques et leurs anticipations en matière d’activité immobilière et d’allocation d’actifs en Europe et en France.

De la récession programmée au rebond aléatoire

Pour Pierre Schoeffler, Senior Advisor IEIF, « des plans de relance avec les bons ingrédients ». La Banque Mondiale prévoit un recul de la croissance économique mondiale de l’ordre de 5% en 2020 et n’anticipe pas avant 2022 de retour au niveau de 2019. Avec un commerce international qui devrait chuter de 13% en 2020, le choc à la baisse sur le PIB en 2020 diffère fortement entre les pays : - 9% en zone euro, - 6% aux Etats-Unis et + 1% en Chine.

Pour faire face à ce choc, les mesures d’endiguement prises ont été prises partout selon un schéma similaire : les Etats supportent les revenus des agents privés sous forme de prêts et de subventions et se financent à taux zéro de façon permanente auprès des banques centrales. La transmission des politiques monétaires accommodantes à l’économie est pour le coup très efficace, beaucoup plus que lorsqu’elle passait par le système bancaire lors de la crise financière globale. Seulement, la croissance des masses monétaires accélère fortement : plus de 5 % en rythme annuel au Japon en mai, le plus haut niveau depuis 30 ans, près de 10 % en zone euro, plus de 20 % aux USA, record historique : c’est beaucoup pour des économies en récession.

De plus, le calibrage des mesures fiscales et monétaires de soutien ramené en part de PIB apparaît surdimensionné dans certains pays : plus de 40 % du PIB aux USA, 30 % en zone euro et au Japon contre seulement 15 % en Chine. Avec ces niveaux de stimulus, on ne peut pas exclure l’hypothèse d’une sur-réaction de l’économie par la demande.

En France, la croissance économique devrait chuter de 10 % en 2020 selon la Banque de France, soit une perte de revenu national de 220 milliards d’euros. Le confinement a conduit à une « pétrification de l’économie » pendant 2 mois, la perte de revenu national doit cependant in fine être soldée. Les transferts massifs ont été mis en œuvre par les administrations publiques à destination des ménages et des entreprises, portant la dette publique à 120% du PIB à fin 2020. A ce jour, la perte de revenu disponible pour les ménages est limitée à - 2%, celles des entreprises s’établit à - 17% et celle des administrations publiques est - 24%.

Dans le cadre du plan de relance, la préférence pour les subventions par rapport aux prêts devrait permettre de renforcer les fonds propres des entreprises, et dynamiser l’investissement. Seulement une vague de défaillances d’entreprise au bilan trop dégradé est fortement probable, du même ordre de grandeur que lors de la crise financière globale du fait notamment de l’échéance principale de remboursement des prêts garantis par l’Etat au printemps 2021, entraînant nécessairement des destructions d’emploi, induisant au moins une stagnation du revenu disponible des ménages.

En Europe, le plan de relance de 750 milliards d’euros contient également les « bons ingrédients », l’angle de soutien sectoriel en complément du volet national est un gage d’efficacité. De plus, par son financement, le plan permet de consolider la construction européenne au-delà de la solidarité monétaire assurée par la BCE en zone euro.

Marchés financiers : déjà 2022 en ligne de mire

Les marchés financiers ont dans l’ensemble réagi beaucoup moins violemment que lors de la crise Internet en 2001 ou de la crise financière globale en 2008. Le bear market sur les actions a duré trois semaines en mars-avril 2020, celui suivant la crise Internet a duré quatre ans et celui suivant la crise financière globale deux ans et demi. A ne considérer qu’eux, on aurait du mal à imaginer le tsunami économique en cours, nourrissant l’idée d’une décorrélation entre marchés financiers et conjoncture économique. Les marchés sont néanmoins passés par une période d’extrême stress de liquidité en Europe, qui a motivé une intervention d’urgence de la BCE avec le lancement du Pandemic Emergency Purchase Programme.

Si aujourd’hui, les indices boursiers présentent des niveaux de performances élevés, c’est d’une part parce que leur composition a évolué avec une part du secteur Technologie en augmentation et aussi la présence renforcée de secteurs particulièrement résilients comme la santé et surtout les actifs ISR, facilitateur de transition, mais c’est également parce que la bourse escompte les résultats à moyen et long terme, à des taux d’actualisation particulièrement faibles.

Marchés immobiliers : la crise touche des marchés globalement à l’équilibre

La prime de risque sur les bureaux Prime Paris QCA, exprimée comme l’écart entre le taux de capitalisation et le taux d’intérêt réel des OAT à 10 ans, était supérieure de 1 % à son niveau moyen observé depuis 1996.

Avec des taux d’intérêt « sans risque » durablement très faibles, la conjoncture sur les marchés immobiliers dépendra essentiellement de l’évolution des revenus locatifs, et donc de l’inflation, ainsi que de l’évolution de la prime de risque locatif. A court terme, l’inflation devrait rester très faible (proche de 0.5% en rythme annuel) ; cette inflation faible corrélée au recul du PIB, aura un impact direct sur l’indexation des loyers (-5% pour l’ILAT et -6% pour l’ILC en 2020) mais un effet très limité sur les valorisations. A moyen terme, les mesures de soutien de la demande et les relocalisations régionales des chaînes de valeur devraient exercer une pression à la hausse sur le niveau d’inflation. A long terme se pose la question de l’impact sur l’inflation de la création monétaire actuelle exceptionnellement vigoureuse. Tant que l’offre de monnaie trouve une demande suffisante dans la monétisation de la production de biens et services et dans l’épargne sous forme d’encaisses monétaires de la part des ménages et des entreprises, l’inflation restera contenue. Le problème arrivera si la confiance dans la monnaie s’affaiblit.

Les signaux-prix en provenance des marchés immobiliers sont encore hésitants. S’agissant des fonds immobiliers non cotés en France et en Europe, les valeurs de parts n’ont pratiquement pas évolué depuis la fin 2019. En revanche l’immobilier coté en Europe témoigne que la crise va avoir un impact très différencié selon les secteurs et la prime de risque locatif associée : l’indice de prix du résidentiel est 10% au-dessus de son niveau de début d’année et celui de la logistique au même niveau, alors celui des bureaux est 30% en dessous, celui de l’hôtellerie 50% en dessous et celui des commerces 65% en dessous. Cependant, il faudra encore attendre quelques mois pour être en mesure d’appréhender l’évolution durable des comportements et leur impact sur l’usage des bureaux, des commerces et des logements.

Les indices de référence pour l’immobilier non-coté, SCPI et OPCI montrent à ce jour une grande résilience.

L’immobilier coté en Europe discrimine fortement les segments (source EPRA)

Même sans considérer la possibilité d’un retour de la pandémie, la ligne de crête qui permet d’envisager un retour sans heurt à la normale est étroite : derrière l’observation des agrégats économiques moyens se cache une très forte augmentation des disparités de situation entre ménages, entreprises, secteurs économiques, pays

Si l’investissement et la consommation ne repartent pas, l’activité économique peut rester moribonde. Dans ce cas la baisse de l’activité immobilière pèsera sur les loyers

Mais si la demande repart, le stimulus fiscal et monétaire massif peut réserver de bonnes surprises en termes de croissance

Les investissements dans la transition vers une économie décarbonée en particulier dans les secteurs du transport et de l’énergie (« Green New Deal ») peuvent être un des vecteurs de croissance

Un tel redémarrage aurait des effets sur les anticipations d’inflation à long terme, l’immobilier changerait progressivement son statut de valeur de rendement à valeur d’indexation.

Quel rebond pour l’immobilier en Europe ?

Pour Mahdi Mokrane, Head of Investment Strategy and Research de Patrizia, la volatilité des prévisions économiques des derniers mois a compliqué la mise en place d’une vision prospective. Trois conséquences de la crise sanitaire peuvent cependant être observées : la crise devrait provoquer une récession sans précédent, accélérer certaines tendances préexistantes mais aussi nous amener à repenser des éléments que l’on pensait acquis, notamment la place prise par l’urbanisation et les grandes métropoles qui étaient sorties renforcées de la crise de 2008.

Pas d’uniformité de l’impact

L’analyse des mesures fiscales et monétaires prises dans chacun des pays permet d’observer des impacts et des conditions de reprises différents en fonction des territoires, ainsi en Allemagne où les mesures de distanciation n’ont pas été de même ampleur qu’en France et où les mesures d’accompagnement fiscales sont massives, les conditions semblent plus favorables pour envisager une reprise en V.

La crise comme accélérateur de tendances

Trois principaux secteurs immobiliers semblent sortir gagnants de la crise sanitaire. L’immobilier résidentiel semble avoir sa très forte résilience comme en témoigne les signaux issus de la bourse mais aussi la bonne performance des loyers au cours de ces six derniers mois. De même, l’ensemble des métiers et entreprises en lien avec le système de santé apparaissent plus porteurs pour la reprise. Enfin, la logistique est entrée dans la crise avec tous les paramètres positifs (taux de vacances très faibles en Europe, loyer en croissance régulière). Cette dynamique devrait s’accélérer à la faveur de la croissance du e-commerce et du rapatriement d’une partie des chaînes de production en Europe qui pourraient générer de nouvelles opportunités et une transformation du secteur.

Immobilier résidentiel

Les taux d’occupation et les niveaux de collecte des loyers indiquent que c’est la classe d’actif qui a le mieux performé pendant la crise. L’attractivité des actifs immobiliers résidentiels dépend toutefois fortement de leur emplacement et une analyse très micro des marchés est absolument nécessaire.

Commerce de proximité

La crise sanitaire a révélé également la résilience des commerces essentiels : alimentaire et services de proximité à l’inverse du commerce discrétionnaire, touché par une érosion des marges et certaines difficultés à payer les loyers. Hormis en Asie, la fréquentation des centres commerciaux reste très faible. En effet, le Covid a contribué à l’accélération de la montée en puissance du e-commerce (exemple italien) et le phénomène semble s’inscrire dans la durée.
Et comment penser l’avenir du bureau ?

Si l’on observe l’activité de prise à bail comme indicateur avancé de la dynamique du marché de bureaux, la confiance s’étant érodée et la majorité des projets étant suspendus, les trois/quatre prochains trimestres pourraient être très difficiles. Mais la demande va-t-elle flancher partout ? Pour analyser le marché de bureaux post Covid, trois variables devraient être prises compte : quel ancrage historique du télétravail, dans quelle mesure peut-il encore progresser ? quelle densité des bureaux (m²/employés), quelle capacité à appliquer les mesures de distanciation ? et enfin quel est le coût du loyer au m² ?

L’urbanisation est-elle terminée ?

Lors de la crise financière de 2008, si l’on observe les niveaux de croissance par région/ville partout en Europe, le rebond fut très rapide pour les grandes métropoles alors que plus petites villes ont stagné, certaines se sont même dépeuplées. Avec la crise sanitaire, est-ce que cela va changer, voir s’inverser ? S’il est trop tôt pour répondre à cette question, les grandes métropoles vont probablement conserver leur attractivité structurelle, et l’émergence de plus petites villes dépendra à la fois du temps nécessaire pour éradiquer la pandémie et des propositions de ses mêmes villes en termes d’accessibilité et de transports. Aujourd’hui un débat s’est ouvert sur les grandes métropoles, on assiste à un phénomène à la « new yorkaise » notamment à Londres – où beaucoup d’employés ne veulent pas revenir au travail et témoignent d’une défiance vis-à-vis des transports en commun.

  • Mise à jour le : 11/09/2020

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