Philippe Maupas : « Jusqu’ici le village gaulois résiste, mais pour combien de temps encore ? »

Par : Benoît Descamps

Observateur averti du marché de l’épargne et de l’asset management, Philippe Maupas pose un regard sans concession sur le modèle de distribution français. Une chose est sûre : pour lui, les choses finiront par évoluer. Mais quand ?

Profession CGP : Quel regard portez-vous sur le marché actuel de la gestion de patrimoine, vous qui avez été associé à un cabinet indépendant au sens de MIF durant dix-huit mois ?

Philippe Maupas : L’avenir est radieux pour la profession. Avec MIF 1 puis MIF 2, les banques se sont retirées du marché des particuliers « un peu » fortunés. Les CGP ont un boulevard devant eux. En revanche, les modèles économiques restent les mêmes : l’indépendance n’est que capitalistique pour les cabinets et il n’y a pas eu de percée de la gestion indicielle contrairement à d’autres pays comme les Etats-Unis, l’Angleterre ou l’Australie, ce qui est fort regrettable pour les clients finaux. En France, 95 % du marché est pour le statu quo. Jusqu’ici le village gaulois résiste, mais pour combien de temps encore ?

 

Pourquoi le regrettez-vous ?

Si la gestion indicielle et la gestion active ne sont pas à opposer, la gestion active reste ignominieusement onéreuse. Les frais additionnels de distribution accentuent la sous-performance des fonds gérés activement, lesquels sont déjà pénalisés par leurs propres frais.

Pour les CGP, le modèle de rétrocessions de commission est, selon moi, une limite considérable. Avec ce système, la valeur de la prestation des CGP est dictée par les contrats qu’ils distribuent et ils ne peuvent ainsi pas déterminer leur politique commerciale puisque ce n’est pas eux qui peuvent justifier de la pertinence de leurs tarifs. Pour schématiser, cela revient à dire qu’ils ne sont qu’un canal de distribution. Tant que la profession ne sera pas à l’aise pour faire payer son conseil, le problème restera le même. L’argument du surcoût au client lié à la facturation de la TVA sur les honoraires est selon moi un faux argument. Au contraire, cela viendrait augmenter les recettes de l’Etat qui en a bien besoin !

 

Pourtant les ETF sont de plus en plus présents dans les contrats, la transparence sur les rémunérations a été mise en place…

Tout à fait, mais le développement des ETF et clean shares reste marginal et le plus souvent limité à des véhicules actions, alors qu’avec l’arrêt de mort signé pour les fonds en euros, des ETF obligataires seraient bien utiles. De plus, les offres de mandat ou de robo-advisors ne résolvent pas le problème, puisque l’économie du contrat comprend toujours une partie de rétrocessions quand il y a un intermédiaire de type CGP. Les plates-formes n’ont, quant à elles, pas le désir d’être les premières à référencer massivement des ETF, de peur de contrarier leurs partenaires. Or, cela semble inéluctable.

Au fur et à mesure, la sous-performance de la gestion active va, par l’accès des clients à l’information et aux bases de données qui mettent en relief le rapport frais/performance, être dévoilée, tout comme les clean shares vont se démocratiser. Alors pour les CGP, le service après-vente sera délicat pour expliquer au client final pourquoi il payait implicitement une prestation chère qui doit dorénavant être explicitement payée en honoraires.

 

La révision de MIF 2 pourrait-elle changer la donne ?

Je ne suis pas sûr. Les associations professionnelles ont déjà exprimé leur volonté de défendre le modèle actuel et cela ne semble pas être une priorité du régulateur. En revanche, on peut que se satisfaire de l’évolution de la position de l’ESMA sur le calcul des frais de surperformance des fonds, lesquels devront être envisagés sur le long terme, cinq ans, contrairement à une appréciation par année calendaire. Cela introduit un peu de symétrie entre les intérêts de la société de gestion et ceux de l’investisseur.

 

A vous écouter, l’avenir de la gestion active semble bien sombre…

Pour subsister, la gestion active doit d’abord réduire ses frais, et donc découpler ses frais de gestion de ses frais de distribution… Ces derniers pèsent lourdement sur la performance nette.

D’ailleurs, les statistiques le prouvent : le service rendu est désastreux puisque seuls 10 à 15 % des fonds actions délivrent de la surperformance sur longue durée. Le coût d’opportunité pour le client final est monumental.

Les gérants actifs ont également tout intérêt à s’éloigner des indices. Ainsi, cette industrie devrait se polariser, avec d’un côté, les « mammouths » de la gestion, comme State Street, BlackRock, Vanguard ou Amundi, ce qui va engendrer des consolidations, et de l’autre des maisons spécialisées sur des marchés spécifiques ou sur des stratégies de gestion alternatives. Entre ces deux pôles, il sera difficile d’exister.

 

L’ISR ou la gestion thématique, ne sont-ils pas le salut des sociétés de gestion active ?

Je ne le pense pas. L’ISR est une matière assez facilement transposable en gestion indicielle. Quant à la gestion thématique, elle est propice à de grandes désillusions car l’histoire prouve que même si une tendance se dessine sur le long terme, elle ne se matérialise pas forcément dans les cours de Bourse. Il n’y a plus de fonds TMT, ni de fonds Peak Oil. En revanche, pour les CGP, ces approches sont pertinentes car elles rendent tangibles l’investissement pour le client final et sont faciles à vendre.

 

Vous avez également beaucoup commenté sur les réseaux sociaux autour des performances récentes de H2O AM…

Pendant longtemps, la société a marché sur l’eau avec un formidable track-record. Depuis quatre ans, la société a énormément collecté, arrivant systématiquement en haut des classements des plates-formes CGP. Cette équipe de gestion avait déjà connu des déboires chez Amundi et en juin 2019, une nouvelle alerte est survenue. Cette situation pose le problème du contrôle des risques au sein d’une société de gestion, même pour une filiale de Natixis. Les multiples paris constitutifs de la gestion H2O AM ont pris le choc Covid de plein fouet, avec de surcroît des problèmes de liquidité sur des actifs obligataires et actions. Et l’on peut regretter que les explications données soient parcellaires…

Si des gérants stars, comme Carmignac Gestion, ont pu être critiqués pour leur sous-performance après des performances remarquables, ils n’ont jamais connu des baisses d’une telle ampleur.

Globalement, ce type d’événement met en lumière que certains conseillers tombent amoureux de gérants. Il est plus difficile de tomber amoureux d’un indice.

 

Si vous deviez citer une société de gestion active, laquelle serait-elle ?

Comgest est un bel exemple. Cette société cumule l’actionnariat des salariés, et donc une implication forte, des gérants de talent, un style de gestion porteur, comme la croissance à prix raisonnable, des frais de gestion raisonnables et l’absence de commissions de surperformance.

 

L’avenir vous semble-t-il favorable à l’émergence du Private Equity ?

La diversification des portefeuilles a ses vertus. Le Private Equity affiche de belles performances passées, mais les performances sont très dispersées. Il convient ici d’accéder au premier décile ou quartile, c’est-à-dire aux acteurs dont la taille permet d’accéder aux meilleurs deals et qui peuvent recruter les meilleurs professionnels. Ce sont ces gérants qui tirent la moyenne vers le haut.

Or, par construction, ces acteurs ne sont pas accessibles aux particuliers. Par ailleurs, il est illusoire de penser que le capital-investissement est moins volatil que les marchés cotés : la température du marché est prise moins souvent. Le levier utilisé par les fonds explique également les performances des fonds.

  • Mise à jour le : 24/06/2020

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