Nantissement et assurance-vie : la banque supplante le privilège du fisc !

Par : edicom

Extrait de Fidnet, la solution digitale de Fidroit

Une saisie administrative à tiers détenteur (SATD) sur un contrat d’assurance-vie préalablement nanti n’est pas valable…

Ce qu'il faut retenir

Les comptables publics chargés du recouvrement de l’impôt peuvent depuis 2013, par exception au principe d’insaisissabilité des contrats d’assurance-vie, recourir à l’avis à tiers détenteur (ATD) pour saisir les sommes versées par un redevable sur son contrat d’assurance-vie rachetable.
LPF, art. L. 262

Jusqu’à présent, la Cour d’appel de Paris jugeait que ce privilège du Trésor primait sur le nantissement accordé à la banque sur le contrat d’assurance-vie, quelle que soit la date à laquelle ce dernier a été constitué.
CA Paris, 8 nov. 2018, n°18/04478 ; CA Paris, 29 nov. 2018, n°18/05223 ; CA Paris, 18 avril 2019, n°18/05798

Toutefois, la Cour de cassation vient retenir la solution inverse : le privilège spécial du créancier bénéficiant d’un nantissement sur un contrat d’assurance-vie, prime sur le privilège du trésor. Par conséquent, seul le créancier nanti peut demander le rachat du contrat et en percevoir la somme.
Cass. civ. 2, 2 juill. 2020, n°19-11417 et 19-13636 (et dans le même sens Cass. civ. 2, 2 juill. 2020, n°19-10308)

Conséquences pratiques

L’administration fiscale ne peut donc pas invoquer son privilège général pour procéder au rachat d’un contrat nanti à la place de la banque, dans le cadre d’une saisie administrative à tiers détenteur.

Remarque : Le rachat forcé du contrat d’assurance-vie n’a pas les mêmes conséquences sur l’option fiscale selon que le contrat : 
- a été donné en garantie (délégation de créance ou nantissement). Dans ce cas, le créancier peut actionner sa garantie sans demander l’option fiscale au souscripteur pour les primes versées avant le 27 septembre 2017 (barème progressif ou prélèvement forfaitaire libératoire). Pour les primes versées après cette date, la mise en place du PFU permet de retenir l’impôt à la source. Cependant, l’assuré débiteur peut anticiper son option fiscale au moment de la prise en garantie. 
- a été saisi par le biais d’un ATD. Dans ce cas, le souscripteur conserve le choix des modalités d’imposition des intérêts. BOI-REC-FORCE-30-30-20-10, § 230

Cette position est conforme à la doctrine administrative publiée le 28 aout 2017 et reprise lors de la mise à jour du 27 novembre 2019 (faisant suite à la loi de finances rectificative pour 2017 ,n° 2017-1775 du décembre 2017, qui a notamment mis en place la saisie administrative à tiers détenteur). Le BOFIP prévoit en effet, qu’en présence d’un acte de nantissement régulièrement et valablement constitué, la saisie fiscale (SATD) ne peut pas s’effectuer.
BOI-REC-FORCE-30-30-20-10 § 210

Cette position doctrinale semble donc bien opposable au comptable public, ce qui inclus non seulement la DGFIP et le service des impôts des entreprises et des particuliers mais aussi les collectivités territoriales, la CAF et la CPAM. 

Avis Fidroit : Cette solution est bienvenue, en particulier pour les établissements de crédits, car elle préserve l’efficacité des garanties en cours. En effet, en réaffirmant l’efficacité du nantissement sur le privilège du Trésor, la Cour renforce la garantie pour le prêteur d’être remboursé, ce qui devrait encourager les établissements bancaires à ne pas trop restreindre l’accès au crédit et à faire bénéficier les investisseurs d’un effet de levier efficace en cette période de taux bas.  De plus, cette décision devrait rassurer les investisseurs sur l’efficacité du nantissement et leur éviter la souscription de garanties alternatives plus couteuses et contraignantes dans le seul but d’éviter le privilège mobilier du Trésor (c’est notamment le cas des sûretés immobilières, comme l’hypothèque, qui se révèle efficace face au privilège général mobilier du trésor qui ne peut pas s’appliquer sur des biens immobilier).

Pour aller plus loin

Principe d’insaisissabilité des contrats d’assurance-vie 

En cours de contrat, le contrat d’assurance-vie ne fait pas partie du patrimoine du souscripteur. Ainsi, les créanciers ne peuvent pas demander le rachat du contrat. Le souscripteur est seulement propriétaire d’une créance sur la compagnie d’assurances et est, à ce titre, investi du droit personnel de racheter le contrat et de désigner ou modifier le bénéficiaire. 
C.ass. art. L. 132-14 et art. L. 132-9 ; Cass. civ. 1, 28 avril 1998, n° 96-10333 ; Cass. civ. 1, 2 juill. 2002, n° 99-14819

Exception en cas de dettes fiscales 

L’administration fiscale peut procéder à des saisie administrative à tiers détenteur (SATD) pour saisir des sommes versées par un contribuable sur un contrat d’assurance-vie rachetable.
LPF, art. L.262 ; C. ass. art. L 132-14 ; BOI-REC-FORCE-30-30-20-10, § 160

Les compagnies d’assurance se voyant notifier un acte de saisie (SATD) sont tenues de procéder immédiatement à son exécution.
CA Poitiers, 25 oct. 2016 n° 15/04371; CA Paris, 10 nov. 2016, n° 15/21390

Cas particuliers

Contrat accepté par le bénéficiaire

La saisie fiscale (SATD) ne peut pas s'effectuer lorsque le contrat a été accepté par le bénéficiaire (puisque le souscripteur ne peut plus exercer sa faculté de rachat sans l’accord du bénéficiaire).
BOI-REC-FORCE-30-30-20-10, § 220 

Délégation de créance

Une délégation de contrat d’assurance-vie qui aurait été consentie et acceptée avant la notification de la SADT, prive cette dernière de son effet. Ainsi le délégataire ne peut être supplanté, à ce titre, dans son droit au paiement par une saisie du Trésor
BOI-REC-FORCE-30-30-20-10 § 200

Contrat nanti 

La doctrine administrative publiée au sein du BOFiP le 28 août 2017 considère que la saisie fiscale (SATD) ne peut pas s'effectuer lorsque le nantissement a été constitué avant la saisie.
BOI-REC-FORCE-30-30-20-10 § 210  (à compter du 28 août 2017)

Toutefois, la Cour d’appel de Paris a estimé dans plusieurs arrêts, qu'un avis à tiers détenteur (ATD) adressé sur des contrats préalablement nantis produit ses effets, peu importe que le nantissement ait eu lieu avant ou après la saisie fiscale. Néanmoins, dans les trois arrêts les ATD avaient été délivrés antérieurement à la publication de la doctrine fiscale.
CA Paris, 8 nov. 2018, n°18/04478 ; CA Paris, 29 nov. 2018, n°18/05223 ; CA Paris, 18 avril 2019, n°18/05798

Hiérarchie entre sûretés mobilières

Ces trois décisions d’appels conduisent à s’interroger sur les conflits entre les sûretés mobilières et laissent planer un doute sur les exceptions prévues par le BOFIP.
Lorsque plusieurs sûretés mobilières confèrent un droit de préférence portant sur un même bien, leur concours va conduire à un classement.
Pour résoudre ce type de conflit, la loi opère un classement entre les privilèges c’est-à-dire aux droits que "la qualité de la créance donne à un créancier d'être préféré aux autres créanciers même hypothécaires."
C. civ. art. 2324

En principe, les privilèges spéciaux priment les privilèges généraux, sauf disposition contraire.  
C. civ. art. 2332-1

Or, la primauté des privilèges mobiliers généraux du Trésor sur les privilèges spéciaux se déduit des textes instituant les privilèges fiscaux, précisant expressément qu’ils s’exercent avant tout autre (sauf exception, comme pour le "super privilège" des salariés, le privilège des frais de justice…).
Le privilège du Trésor garantit notamment le recouvrement des impôts directs et taxes assimilés. Il s’exerce sur tous les meubles et effets mobiliers du contribuable en quelque lieu qu’ils se trouvent.
CGI arts. 1920 et s

Néanmoins, aucun classement entre les privilèges mobiliers et les autres sûretés mobilières n’est clairement établi. Le législateur précise seulement, s’agissant du privilège du Trésor que son rang est déterminé dans le respect toutefois des droits acquis.
C. civ. art. 2327

Cela signifierait vraisemblablement que les droits acquis tels que les inscriptions antérieures de sûretés ne peuvent pas être remis en cause. Or, lorsque la sûreté est un nantissement d’une créance, il est prévu que celui-ci prend effet entre les parties et devient opposable aux tiers à la date de l'acte.
C. civ. art. 2361

Cette position serait conforme à celle de la doctrine administrative publiée au sein du  BOFiP. Ce n’est pas pour autant celle qu’avait retenue par la Cour d’appel de Paris dans ses  trois arrêts (cf. ci-dessus). Mais c’est celle que retient la Cour de cassation dans trois décisions du 2 juillet 2020… (voir arrêt connexe Cass. civ. 2, 2 juill. 2020, n°19-10308 venant casser l’arrêt de la cour d’appel du 8 novembre 2018 précité)

Faits et procédure

Des contrats d’assurance-vie ont été souscrits puis donnés en nantissement au profit d’une banque pour garantir le remboursement d’un prêt le 2 décembre 2012. 
Le comptable public a notifié à l’assureur deux avis à tiers détenteurs le 31 aout 2016.

L’assureur a refusé le rachat des contrats d’assurance-vie au profit du comptable public aux motifs que les contrats n’étaient pas dénoués et étaient nantis au profit de la banque.

Le comptable assigne la compagnie d’assurance. 

Le 21 février 2018, le juge accueille favorablement la demande du comptable public. 

La banque et l’assureur font appel de la décision.

La Cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 29 novembre 2018, confirme la décision du juge  et condamne l’assureur à verser la valeur du rachat du contrat au Trésor public aux motifs : 

- que les privilèges spéciaux priment sur les privilèges généraux  sauf dispositions contraires, or, l’article 1920 prévoit notamment que le privilège général du Trésor s’exerce avant tout autre. Ainsi, le privilège du Trésor doit  primer sur le nantissement de la créance du souscripteur sur l’assureur au profit de la banque.

- en raison de l’avis à tiers détenteur qu’il détient, le Trésor peut donc exercer la faculté de rachat immédiat du contrat

- la doctrine administrative prévue au BOFIP n’a pas lieu de s’appliquer car elle est postérieure à l’avis à tiers détenteur et n’est que le reflet de la jurisprudence au jour de sa publication.

La banque et l’assureur ont formé un pourvoi, en relevant :

- Que seuls les contrats d’assurance-vie rachetables par le souscripteur peuvent faire l’objet d’un avis à tiers détenteur. Or une fois le contrat nanti, le souscripteur perd sa faculté de rachat. 

- Que le privilège du trésor ne peut pas s’appliquer sur des biens qui n’appartiennent pas au redevable de l’impôt. Dès lors, seul le créancier nanti peut demander le paiement de sa créance et doit donc primer sur les autres créanciers.

Arrêt

La Cour de cassation, dans son arrêt du 2 juillet 2020, casse l’arrêt de la Cour d’appel et rappelle, au visa des articles 2363 du code civil et L.132-10 du code des assurance, que le créancier qui bénéficie d’un nantissement du contrat d’assurance dispose d’un droit exclusif au paiement, venant primer sur les autres créanciers, même privilégiés. 
Ainsi elle sanctionne les juges du fond d’avoir retenu que le privilège du trésor, bien que général pouvait "primer le nantissement de la créance du souscripteur sur l’assureur au profit de la banque, quelle que soit la date à laquelle ce dernier a été constitué" et permettre au comptable public d’exercer la faculté de rachat à la place du créancier nanti.

Analyse

Cette décision prend le contrepied des motivations retenues par la Cour d’appel de Paris dans les arrêts des 8 et 29 novembre 2018 et du 18 avril 2019.

Elle répond ainsi à la question du classement donné entre le privilège général du Trésor et le nantissement, en faisant prévaloir ce dernier. 

Pour autant elle ne reprend pas les motifs des établissements d’assurance qui arguaient notamment qu’en effectuant un nantissement sur son contrat d’assurance-vie, le souscripteur avait transféré sa faculté de rachat au profit de la banque, ce qui justifierait dès lors l’inefficacité de la saisie administrative à tiers détenteur (SATD) puisque le souscripteur aurait ainsi renoncé à sa faculté de rachat. 

L’assimilation du transfert de la faculté de rachat à celle de la renonciation pour faire obstacle à la SATD n’est pas retenue ici, et la cour se borne à rappeler la prévalence du nantissement sur les autres gages sur le fondement de l’article 2636 du Code civil et L.132-10 du code des assurances. 

Ainsi, le nantissement du contrat et corrélativement le transfert de la faculté de rachat n’ont pas vocation à rendre le contrat non rachetable. C’est d’ailleurs ce que l’on retrouve sur le plan fiscal puisqu’un contrat nanti doit tout de même être déclaré notamment à l’IFI, comme tout contrat d’assurance-vie rachetable, en présence d’actifs immobiliers. 

Enfin, cette solution semble valider l’application de la doctrine administrative aux SATD qui auraient été délivrées avant sa publication (28 aout 2017, première publication, reprise par la modification du 27 novembre 2019). Elle doit donc être analysée comme une réelle interprétation des textes et non une paraphrase de la loi ou un commentaire de jurisprudence. 
BOI-SJ-RES-10-10-10 §110

 

  • Mise à jour le : 28/08/2020

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