Petit abus de droit fiscal : Bercy livre son mode d’emploi

Par : edicom

Par Benjamin Derrac, responsable de l’ingénierie patrimoniale de Novalfi, Solène Rabat, ingénieur patrimonial chez Novalfi, Henri de Cleene, ingénieur patrimonial chez Novalfi, et Laurent Simonnet, ingénieur patrimonial chez Novalfi

Apparu avec la loi de finances pour 2019, le petit abus de droit avait suscité l’émoi et de nombreuses interrogations chez les professionnels du conseil patrimonial. Le fisc en a récemment précisé les contours.

L’article L. 64 A du Livre des procédures fiscales (LPF) a été instauré par la loi de finances pour 2019 : « Afin d’en restituer le véritable caractère et sous réserve de l’application de l’article 205 A du Code général des impôts, l’administration est en droit d’écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes qui, recherchant le bénéfice d’une application littérale des textes ou de décisions à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ont pour motif principal d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé, si ces actes n’avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles ».

La démonstration de l’abus nécessite la réunion de deux conditions :

- un critère objectif : l’utilisation d’un texte ou d’une décision à l’encontre des objectifs de son auteur ;

- un critère subjectif : c’est-à-dire pour les actes visés par l’article L 64 A du LPF, la volonté principale d’éluder l’impôt.

Ce « petit abus de droit » se distingue de son grand frère, l’article L. 64 du LPF, sur deux points. Premièrement, il ne prévoit pas de disposition relative à l’abus de droit par simulation (1), celui-ci relevant uniquement de l’article L. 64. Deuxièmement, concernant l’abus de droit par fraude à la loi, il ne vise que les schémas à but « principalement » fiscal (« ont pour motif principal »), alors que son aîné ne s’intéresse qu’à ceux présentant un but « exclusivement » fiscal.

L’adoption de cet article a causé – à juste titre – un certain émoi au sein des professionnels de la gestion de patrimoine (2). En effet, selon les travaux préparatoires, la raison d’être de cet article est « d’assouplir l’abus de droit » (Sénat, rapport 2017 du comité de l'abus de droit fiscal (extraits), mars 2018), doux euphémisme pour indiquer l’intention des pouvoirs publics de faciliter l’action répressive de l’administration fiscale. Les praticiens, qui peuvent engager leur responsabilité civile professionnelle et se voir condamnés au paiement d’une amende au titre de leur activité de conseil (article 1740 A bis du CGI), se doivent donc d’adopter de nouveaux réflexes.

L’administration fiscale a récemment publié, dans sa base officielle (BoFip), ses commentaires relatifs à l’article L. 64 A du LPF, applicable aux rectifications notifiées à compter du 1er janvier 2021 portant sur des actes passés ou réalisés à compter du 1er janvier 2020 (3). C’est l’occasion de faire le point sur quelques problèmes soulevés par ce nouveau texte.

Un dispositif au périmètre incertain

Le premier de ces problèmes pourrait résider dans l’articulation des principaux dispositifs de répression des pratiques abusives en matière fiscale : articles 205 A du Code général des impôts (CGI), L. 64 et L. 64 A du LPF. Les commentaires du BoFip relatifs à la procédure de l’abus de droit fiscal au sens de l’article L. 64 A du LPF font référence à cinq reprises à l’article 205 A du CGI.

Trois de ces références le sont pour énoncer que l’article L. 64 A du livre des procédures fiscales (LPF) a pour objectif d’étendre la clause anti-abus en matière d’impôt sur les sociétés (IS), codifiée à l’article 205 A du CGI, à l’ensemble des autres impôts. Les deux autres ont directement trait à cette problématique d’articulation des textes : « Les dispositions de l’article L. 64 A du LPF s’appliquent sous réserve de celles de l’article 205 A du CGI. Elles concernent par conséquent tous les impôts à l’exception de l’impôt sur les sociétés. Il convient de se reporter au BOI-IS-BASE-70 pour davantage de précisions sur les dispositions de l’article 205 A du CGI. »

Ces commentaires ne nous paraissent pas prêter à confusion. Il en résulterait donc que l’article L. 64 A ne saurait constituer une arme à la disposition de l’administration fiscale pour procéder à des rectifications induisant des suppléments d’IS. Dès lors que l’administration fiscale soutient que l’article L. 64 A du LPF a pour objectif, notamment, d’étendre la clause anti-abus en matière d’impôt sur les sociétés, codifiée à l’article 205 A du CGI, à l’ensemble des autres impôts, une position contraire ne pouvait être envisageable aux yeux de Bercy. Certains auteurs jugent néanmoins cette position critiquable, l’administration ayant selon eux, en matière d’IS, le choix entre l’article 205 A et l’article L. 64 A (Douet, Bonte, Defrénois n° 08, 20 février 2020).

Les gestionnaires de patrimoine que nous sommes ne perdront pas de vue, d’une part, que les décisions qui seront rendues sous l’empire de l’article 205 A du CGI pourraient, dans une certaine mesure, nous éclairer sur l’appréciation de nos préconisations au regard de l’article L. 64 A du LPF et que, d’autre part, la saisine du Comité de l’abus de droit n’est permise qu’au regard de ce dernier.

La position de l’administration sur l’articulation des articles L. 64 et L. 64 A du LPF nous semble davantage incertaine. L’articulation de ces deux régimes n’est envisagée dans les commentaires administratifs qu’à une seule reprise : « L’article L. 64 A du LPF ne s’applique pas dans tous les cas où l’abus peut être caractérisé sur le fondement de l’article L. 64 du LPF c’est-à-dire lorsque les effets économiques (patrimoniaux, commerciaux…) sont nuls ou négligeables (4) ».

S’il peut être compris de cette observation qu’il est une situation dans laquelle seul l’article L. 64 du LPF aura vocation à être brandi par l’administration fiscale, qu’en est-il dans les autres cas : les deux articles auront-ils vocation à s’appliquer ? Pourront-ils l’être de façon simultanée, successive ou exclusive ? La réponse à ces questions n’est pas neutre au regard de l’application des sanctions : automatique dans un régime (L. 64 LPF) et, a priori, non-automatique dans l’autre (L. 64 A LPF). Ce point sera abordé plus amplement ci-après. En définitive, la délimitation du champ d’application propre à ces deux articles, en l’absence de méthodologie pour apprécier le caractère « négligeable » des effets économiques et le caractère « principalement fiscal » de l’opération incriminée, demeure incertaine.

L’élément subjectif : comment apprécier le caractère principalement fiscal d’un schéma ?

Si les commentaires de l’administration semblent, sous certaines conditions, protéger quelques schémas des dispositions de l’article L. 64 A (notamment la donation de la nue-propriété avec réserve d’usufruit et la donation temporaire d’usufruit au profit d’un enfant majeur qui ne fait pas partie du foyer fiscal), le doute demeure pour les schémas non expressément visés (donation avant cession, vente à soi-même, etc.). Pour ceux-ci, la difficulté résidera dans l’appréciation du but principalement fiscal, laquelle repose sur une quantification de l’ensemble des avantages (fiscaux et non fiscaux) tirés de l’opération en vue de leur comparaison.

Tout le monde s’accorde à dire que l’appréciation de la prépondérance entre avantages fiscaux et non fiscaux est plus que délicate. Ainsi, concernant l’apport-donation (schéma consistant en l’apport de la nue-propriété de biens de valeurs différentes à une SCI pour ensuite réaliser une donation-partage des parts [Fernoux : « Revisitons le passé à l’aune du but principalement fiscal » Revue de droit fiscal n° 22, 31 mai 2019]), l’estimation de l’avantage résultant de l’éviction de la situation d’indivision, de nature qualitatif, est difficilement chiffrable, tandis que l’avantage fiscal, lui, l’est parfaitement. Sous l’empire de l’article L. 64 du LPF, le schéma d’apport-donation, sous réserve du respect de certaines conditions, pouvait ne pas être considéré comme abusif (Cass. Com., 3 octobre 2006, n° 04-14.272, Cass. Com., 23 septembre 2008, n° 07-15.210). Rien ne permet d’affirmer qu’une telle solution sera reconduite sur le fondement de l’article L. 64 A.

Prenons un autre exemple : la vente à soi-même. Cette opération pourrait-elle tomber sous le coup de l’article L. 64 A ? En 2012, le Conseil d’Etat a pu estimer « qu’à elle seule, une vente à soi-même par société interposée ne présente pas un élément d’artificialité suffisant pour [établir] la qualification d’abus de droit » (5). Autrement dit, l’opération n’est pas en elle-même répréhensible, seules des circonstances particulières peuvent la faire dégénérer en abus de droit (6). Rendue sous le visa de l’article L. 64, cette solution pourrait-elle prospérer sous celui de l’article L. 64 A ?

Un auteur estime « qu’il ne paraîtrait pas invraisemblable que le Conseil d’Etat (…) ne change rien de son raisonnement (…). Que fait aujourd’hui [article écrit en 2013] le Conseil d’Etat pour apprécier si le seul motif d’une opération est fiscal ? Il compare l’avantage économique et l’avantage fiscal retirés respectivement par le contribuable de l’opération critiquée. Si l’avantage fiscal est prépondérant par rapport à l’avantage économique (réel), il considère que le contribuable a été inspiré par un motif exclusivement fiscal [Fouquet, Editions Francis Lefebvre, FR 39/13, 27 septembre 2013] ». Si une telle analyse s’avérait exacte, les craintes qui entourent l’article L. 64 A pourraient être, au moins en partie, dissipées.

Afin de diminuer les risques d’une condamnation sur le fondement de cet article, le contribuable devra veiller à réaliser des opérations qui pourront, au moyen d’une documentation et d’un argumentaire préparé en amont par un conseil, faire l’objet de justifications économiques et patrimoniales substantielles (objectifs de transmission, volonté d’éviter l’indivision, etc.) en cas de contrôle. En outre, il devra être en mesure de justifier la sincérité des opérations.

Ainsi, dans le cadre d’une vente à soi-même avec stipulation du paiement d’une partie du prix à terme (crédit-vendeur), le contribuable devra notamment justifier du paiement effectif de ce prix selon un échéancier de paiement cohérent avec son espérance de vie.

En l’absence de jurisprudence rendue sous l’article L. 64 A, l’insécurité juridique entourant l’application de ce texte pourrait-elle inciter le contribuable à obtenir de l’administration un « certificat de conformité » du schéma envisagé ? En effet, comme indiqué dans ses commentaires administratifs, l’administration rappelle que le rescrit « abus de droit » reste une option pertinente pour le contribuable. L’abus de droit ne pourra pas être retenu si l’administration n’a pas répondu dans les six mois qui suivent la demande (L. 64 B du LPF).

Engager un dialogue avec l’administration peut être bénéfique. Mais, de manière plus réaliste, on peut légitimement se demander si le délai de six mois ne serait pas considéré comme trop long pour grand nombre de contribuables. D’autant que, malgré le rappel bienvenu par le BoFip du nécessaire cumul des conditions objectives et subjectives pour apprécier la fraude à la loi, les dernières jurisprudences du Conseil d’Etat (7) ont pu semer le trouble.

L’élément objectif : cœur du système ou simple formalité pour l’administration fiscale ?

Dans le cadre desdites jurisprudences, la haute juridiction a, en effet, reconnu l’élément objectif implicitement rempli en présence d’un montage artificiel. A l’époque, Olivier Fouquet s’en est ému craignant que : « les [juges] se croient désormais dispensés de rechercher l’intention du législateur du seul fait qu’ils estiment qu’un montage est dépourvu d’objectif économique et donc artificiel et que par suite il ne poursuit qu’un but exclusivement fiscal [Fouquet, Dr. Fisc. 2017 n° 43-44, comm. 529]. »

Quelque temps plus tard, le Conseil d’Etat confirma indirectement cette lecture en jugeant que, en l’absence de montage artificiel, les deux conditions de la fraude à la loi devaient être réunies, laissant à penser que le juge n’avait au demeurant pas abandonné le critère du « détournement de l’esprit de la norme » (CE, 8 février 2019, n° 407641). Un récent arrêt Wendel (CE, 12 février 2020, n° 421444) enfonce le clou, considérant en l’espèce que des contribuables s’étant placés artificiellement sous les dispositions du sursis d’imposition (article 150 0 B du CGI) devaient être regardés comme ayant réalisé une opération à but exclusivement fiscal nécessairement contraire à l’objectif poursuivi par le législateur.

Cette notion de « montage artificiel » non définie par le juge (de La Mardière, Dr. Fisc. n° 29, 19 juillet 2019), semble avoir définitivement fait son apparition dans le paysage de l’abus de droit fiscal et amène à s’interroger sur-le-champ et les conditions d’application des procédures prévues par le LPF.

L’artificialité, qui pourrait s’apparenter à un défaut de substance économique, doit-il être réservé à l’exclusivisme fiscal ?

Dans l’affaire Wendel précitée, le Conseil d’Etat s’est appuyé sur la succession des opérations et l’objet purement patrimonial de la société interposée pour caractériser l’artificialité. Or, comme le commente M. Vabres (Revue de Droit Fiscal n° 10, 5 mars 2020) : « Dans la mesure où de nombreuses opérations d’ingénierie patrimoniale sont fondées sur l’interposition d’une société, il est à craindre que cette tendance jurisprudentielle qui dépasse la volonté du législateur ne crée un climat d’insécurité pour le contribuable et leurs conseils ». Une vigilance renforcée sera donc de mise.

Le BoFip apporte un éclairage quant à la définition des « textes » ou « décisions » susceptibles d’être abusés. Pour bien comprendre les enjeux du débat, il faut rappeler la solution dégagée par le Conseil d’Etat dans la fameuse affaire des « fonds turbos » (CE, 8 avril 1998, n° 192539) : l’administration ne peut pas faire usage de la procédure de répression de l’abus de droit à l’encontre d’un contribuable qui a appliqué à la lettre une de ses instructions qui serait contraire à la loi.

Dans cet arrêt, le Conseil d’Etat avait intelligemment concilié la garantie offerte au contribuable contre les changements de doctrine (L. 80 A LPF) et la répression des abus de droit (L. 64 LPF). Cet équilibre avait été parfaitement résumé par Jérôme Turot : « la doctrine n’a pas d’esprit ». Sauf à miner les fondements de l’Etat de droit, l’administration ne saurait être autorisée à sanctionner un contribuable pour avoir appliqué une norme qu’elle a elle-même créée en toute illégalité !

Rendu sous l’empire du L. 64 du LPF, un arrêt de la Cour administrative d’appel (CAA) de Paris (CAA Paris, 20 décembre 2018, n°17PA00747) a changé la donne en qualifiant la doctrine administrative de « décision » au sens de ce même texte, remettant ainsi en cause la garantie offerte au contribuable par l’article L. 80 A du LPF contre les changements de doctrine.

La rédaction identique du L. 64 et L. 64 A ne laisse pas de doute sur la transposition de cette solution. Sans même attendre que le Conseil d’Etat ne se soit prononcé sur l’arrêt précité de la CAA, l’administration fiscale détaille le champ des décisions susceptibles d’être abusées en s’appuyant sur les travaux préparatoires du L. 64.

Il s’agira notamment de celles qui, allant au-delà du simple commentaire de la norme, créent du droit. En clair, un contribuable ayant appliqué à la lettre une directive illégale de l’administration fiscale pourrait néanmoins commettre un abus de droit. Cette lecture n’est pas exempte de critique, car elle revient à balayer l’équilibre entre équité et sécurité juridique prévalant jusqu’alors (affaire des « fonds turbos » précitée). Pour l’heure, il semble ainsi acquis que même la doctrine puisse avoir un esprit, du moins aux yeux de l’administration fiscale.

Cette affirmation n’est pas sans faire échos aux détracteurs de « l’esprit » qui considèrent que raisonner sur cette notion entraîne la destruction de tout raisonnement juridique et l’avènement du juge oracle (Simonnet, Lexbase Hebdo, Editions fiscales n° 810 du 23 janvier 2020).

Automaticité des sanctions et constitutionnalité de l’article L. 64 A du LPF

En 2013, le législateur avait déjà tenté de réformer l’article L. 64 du LPF en le modifiant par l’insertion de l’expression « qui ont pour motif principal… ». La censure du Conseil constitutionnel ne s’était pas fait attendre. Les Sages de la rue de Montpensier avaient fort logiquement jugé que le législateur ne pouvait, sans violer le principe de légalité des délits et des peines, permettre à l’administration fiscale d’appliquer de très lourdes pénalités sur la base d’une définition de l’abus de droit aussi imprécise (Conseil constitutionnel, 29 décembre 2013, n° 2013-685 DC). Certains parlementaires en ont alors déduit qu’il pourrait suffire, pour rendre l’abus de droit « principalement fiscal » compatible avec notre Constitution, de ne l’assortir d’aucune sanction. A première vue, le raisonnement est imparable : faute de sanction, impossible de violer le principe de légalité des peines. Cet « alibi constitutionnel » a été traduit – passivement – dans notre CGI : le « b » de l’article 1729 du CGI, qui prévoit les pénalités pour abus de droit version « L. 64 », demeure inchangé et ne mentionne pas l’article L. 64 A.

A y regarder de plus près, le raisonnement paraît vacillant. En effet, c’est oublier qu’en cas de manquement délibéré, le « a » de l’article 1729 prévoit une pénalité de 40 % et que le « c » du même article prévoit une pénalité de 80 % en cas de manœuvre frauduleuse. A moins de considérer que la commission d’un abus de droit n’est ni un manquement délibéré, ni une manœuvre frauduleuse (8), l’article L. 64 A est bel et bien assorti de sanctions tout aussi redoutables (dans leur montant) que celles prévues par l’article L. 64.

Le texte pourrait-il être sauvé si l’on considère, comme le fait l’administration fiscale (BOI-CF-IOR-30-20 n°130), que l’application des pénalités est laissée à la discrétion de celle-ci ? Rien n’est moins sûr. Si l’administration dispose d’un pouvoir d’appréciation pour retenir l’existence d’un manquement délibéré ou d’une manœuvre frauduleuse, elle ne dispose légalement d’aucune marge de manœuvre une fois ces agissements constatés. En effet, en ce cas, l’article 1729 du CGI lui impose d’infliger les pénalités prévues par ledit texte (9), sauf à conclure une transaction avec le contribuable rectifié (L. 248 à L. 251 du LPF).

Ainsi, la qualification d’abus de droit au sens de l’article L. 64 A, entraînant de facto la commission de manœuvres frauduleuses et/ou de manquements délibérés, ne pourrait qu’entraîner le prononcé d’une amende, dont le montant est identique à celui applicable dans le cadre de l’article L. 64 (40 ou 80 %). L’article L. 64 A est donc bien assorti d’une sanction, de surcroît d’application automatique. Privé de son « alibi constitutionnel », pourrait-il encourir les foudres du juge constitutionnel ?

Il serait sans doute imprudent de conclure de manière péremptoire à l’inconstitutionnalité du texte. D’une part, le Conseil constitutionnel pourrait estimer que la sanction d’un manquement délibéré ou d’une manœuvre frauduleuse n’est pas de nature répressive, et donc, insusceptible d’être censurée sur le fondement du principe de légalité des délits et des peines. D’autre part, la conciliation du principe de légalité des délits et des peines et de l’objectif constitutionnel de lutte contre la fraude fiscale pourrait donner lieu à une solution originale du Conseil constitutionnel. Il faudra dans tous les cas s’armer de patience, puisque le juge constitutionnel, n’ayant pas été saisi par les parlementaires lors de l’adoption de la loi, ne pourra statuer sur l’article L. 64 A que si une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) lui est soumise dans le cadre d’un litige.

Dans l’attente, on ne saurait que conseiller la prudence dans la délivrance de tout conseil ayant des implications fiscales. Il devra être effectué, avant réalisation de toute opération patrimoniale, une « pesée » des avantages fiscaux et non fiscaux afin, d’une part, de permettre au contribuable de jauger le risque encouru, et d’autre part, de préparer un argumentaire en cas de contrôle de l’administration fiscale.

1. L'abus de droit résultant de l'article L 64 du LPF se décompose en deux branches alternatives portant respectivement sur les situations de fictivité juridique (ou abus de droit par simulation) et de fraude à la loi (ou abus de droit par fraude à la loi).

L'abus de droit par simulation peut résulter d'un acte fictif (par exemple, la location fictive d'un immeuble visant à déduire des dépenses de travaux, le bailleur se réservant en réalité la jouissance personnelle de cet immeuble) ou d'un acte déguisé (par exemple, une donation déguisée en vente afin d'éluder une partie des droits de mutation).

2. Notamment : Olléon Droit fiscal n° 30-35, 25 Juillet 2019, 344 ; Douet, JCPN, n° 19 - 10 mai 2019, 1188

3. BOI-CF-IOR-30-20, 31 janvier 2020. Précisons que les contribuables ne peuvent pas invoquer une doctrine concernant les procédures d'imposition ou d'établissement des pénalités (notamment CE 24-9-2014 n° 361330).

4. Pour une meilleure appréciation de cette notion « d’effets économiques … nuls ou négligeables », l’administration fiscale renvoie à 2 arrêts, l’un du Conseil d’Etat (CE, décision du 17 juillet 2013, n° 352989, Sarl Garnier Choiseuil), l’autre de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE, décision du 10 novembre 2011, aff. C-126/10 Foggia).

5. Conclusions du rapporteur Cortot Boucher, rendues sous CE 23 juillet 2012 n° 342017 et CE 23 juillet 2012 n° 346049

6. La stipulation d’un crédit-vendeur égal à 100 % du prix et ne faisant l’objet d’aucun remboursement effectif pourrait être un élément pertinent pour l’administration fiscale pour caractériser l’abus de droit.

7. Arrêts « Ingram Micro » du 19/07/2017 n°408227 et « Verdannet » du 25/10/2017 n°396954)

8. L'abus de droit résultant de l'article L 64 du LPF se décompose en deux branches alternatives portant respectivement sur les situations de fictivité juridique (ou abus de droit par simulation) et de fraude à la loi (ou abus de droit par fraude à la loi).

9. L’article 1729 dispose que la commission d’un manquement délibéré ou d’une manœuvre frauduleuse « entraîne l’application ». L’emploi de l’impératif montre bien l’absence de liberté de l’administration qui doit appliquer la pénalité si elle constate une manœuvre ou un manquement. L'abus de droit par simulation peut résulter d'un acte fictif (par exemple, la location fictive d'un immeuble visant à déduire des dépenses de travaux, le bailleur se réservant en réalité la jouissance personnelle de cet immeuble) ou d'un acte déguisé (par exemple, une donation déguisée en vente afin d'éluder une partie des droits de mutation).

  • Mise à jour le : 05/05/2020

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